Enseignante à l’université et praticienne hospitalière, vous êtes la cheville ouvrière des 30e Rencontres internationales de sénologie de Strasbourg. Entre les cours que vous dispensez et les opérations que vous pratiquez, on suppose votre emploi du temps totalement fou. Question personnelle : pourquoi organisez-vous ces Rencontres ?
La folie ne fait pas partie de mon agenda. D’ailleurs, la folie consisterait précisément à ne pas tenir de telles rencontres. Elles sont urgentes. Elles sont précieuses. Elles réunissent à Strasbourg des spécialistes venus de tous les continents et permettent tout à la fois un débat public qui intéresse le monde entier, mais favorisent aussi un échange d’expériences, de solutions, de pratiques. C’est un temps d’échange très rare entre spécialistes et médecins de haut niveau. Mais la science ne se divise pas et la médecine ne connaît aucune frontière. On le sait depuis Pasteur, qui voyait le monde entier déferler vers son laboratoire parisien pour recevoir son vaccin antirabique : où que nous soyons, nous prenons part à la même et persistante humanité. Quand une patiente souffre d’un cancer du sein, peu importe d’où elle vienne. L’objectif est de la prendre en charge et, si possible, de la sauver.
Le trentième anniversaire d’Octobre Rose que nous célébrons cette année a-t-il vu, en France, le cancer du sein régresser ?
L’affaire est, en réalité, très complexe. « Octobre Rose » a permis de sensibiliser, depuis trente ans, les femmes françaises sur la nécessité de se faire dépister. Nos collègues généralistes sont également très informés de la nécessité de prescrire un dépistage à leurs patientes, dès qu’elles atteignent l’âge de 45 ans. Et tous le font. Evidemment. Parce que ce sont des professionnels de santé. Il n’en reste pas moins que, sur le simple plan épidémiologique, la France est malheureusement devenue aujourd’hui le premier pays au monde en terme d’incidence des cancers du sein. C’est un triste record. Sans action de notre part, sans une mobilisation de tous les acteurs (y compris de la presse qui alerte et informe le grand public) la mortalité pourrait augmenter dans les années qui viennent. Nous sommes dans une situation vraiment très grave.
Vous n’exagérez pas un peu la situation ?
Franchement, non. Je constate simplement chaque jour dans le service chirurgical que je dirige à Strasbourg (ICANS) : on opère, on opère, on opère… Ce ne sont pas simplement des vues de l’esprit ni des statistiques que j’évoque. Ce sont des réalités concrètes et tangibles, qui se déroulent dans les blocs opératoires de nos hôpitaux.
Comment résorber les cancers du sein en France ?
La solution est assurément multi-factorielle. Renouveler les campagnes de prévention (depuis quand a-t-on vu une campagne du ministère de la Santé incitant les femmes au dépistage ? Cela remonte vraiment à loin…) Accentuer toutes les formes de prévention anti-cancérologique d’une façon générale (obésité, sédentarité, tabagisme, alcoolisme, etc.) Et enfin, en ce qui concerne la sénologie proprement dite : former les chirurgiens sénologues.
Comment cela ? Vous voulez dire qu’ils ne sont pas formés à l’heure actuelle ?
Exactement. Il n’existe aucune formation chirurgicale, aucune certification, aucun diplôme en France pour opérer d’un cancer du sein. Un chirurgien podologue ou un chirurgien cardiologue peut se livrer à ce genre d’opération. Avec les risques que cela comporte (ces risques se mesurent en pronostic de vie). Pour la patiente, mais également pour le chirurgien. Les rencontres internationales de Strasbourg permettront à l’Académie nationale de chirurgie de formuler des recommandations essentielles dans ce domaine. Dans tous les sens, ces Rencontres seront porteuses de changement, de transformation et, au final, d’espoir. Et c’est cela l’essentiel.