Entretien avec la P^r Carole Mathelin

Comment qualifier la situation
face au cancer du sein ?

Enseignante à l’université et praticienne hospitalière, vous pilotez les 30es Rencontres internationales de sénologie de Strasbourg. Entre les cours que vous dispensez, les opérations que vous pratiquez et vos autres responsabilités, on suppose votre emploi du temps très intense. Question personnelle : pourquoi, en plus de toutes vos activités, organiser ces Rencontres ?
Oui, mon agenda est bien rempli mais je me dois avec mon équipe d’organiser de telles rencontres, car les maladies du sein changent, notre population se modifie et les prises en charge, qu’elles soient diagnostiques ou thérapeutiques, évoluent sans cesse. Nos rencontres annuelles sont donc précieuses. Elles réunissent à Strasbourg (la ville où est née la Société Internationale de Sénologie en 1976) des spécialistes venus de tous les continents et permettent tout à la fois un échange d’expériences, de solutions, de pratiques mais aussi un débat public avec la société civile, portant sur cette maladie qui touche plus d’une femme sur dix. C’est un temps d’échange très rare entre spécialistes venant de tous les continents et tout un chacun. La médecine ne connaît pas de frontière. Les progrès doivent être connus de tous.

Le trentième anniversaire d’Octobre Rose que nous célébrons cette année a-t-il vu, en France, le cancer du sein régresser ?
L’affaire est, en réalité, très complexe. « Octobre Rose » a permis de sensibiliser, depuis trente ans, les femmes à la nécessité de se faire dépister. Nos collègues généralistes ou gynécologues sont également très informés de la nécessité de prescrire un dépistage à leurs patientes, dès qu’elles atteignent l’âge de cinquante ans. Ce dépistage a permis des progrès considérables : les tumeurs étant diagnostiquées à un stade précoce, les traitements sont beaucoup moins lourds (moins de mastectomies, de curages axillaires, de chimiothérapies…) et par conséquent plus de guérisons. Cependant, sur le plan épidémiologique, la France est devenue aujourd’hui le premier pays au monde en termes d’incidence des cancers du sein (nombre de cancers du sein par habitant). Une mobilisation de tous les acteurs (les cliniciens, les chercheurs… y compris de la presse qui alerte et informe le grand public) nous parait indispensable pour mieux identifier les facteurs protecteurs et les facteurs de risque de ce cancer (ces différents facteurs seront développés lors des RISS) ; les femmes peuvent être actrices de la santé de leurs seins et c’est un message fort que nous souhaitons leur faire comprendre.

Qu’en est-il de la mortalité par cancer du sein en France, va-t-elle régresser dans les années qui viennent ?
En France, la mortalité pourrait augmenter dans les années qui viennent. Il nous faut à tout prix mieux communiquer pour que les femmes comprennent qu’elles peuvent agir, en diminuant, quand c’est possible, certains facteurs de risque, en renforçant certains facteurs protecteurs et en combattant des idées reçues erronées qui feront l’objet d’une clarification lors de ces rencontres.

Comment vivez-vous l’évolution actuelle des cancers du sein dans votre hôpital ?
Nous constatons chaque jour dans le service de chirurgie que je dirige à Strasbourg (ICANS) que le cancer du sein peut toucher tout le monde. Même si la majorité de nos patientes a plus de 50 ans, de nombreuses femmes très jeunes sont concernées, avant même d’avoir été mamans. Le maintien de leur fertilité est alors essentiel. A l’inverse, nous soignons des patientes beaucoup plus âgées (le quart d’entre elles a plus de 75 ans). Même les hommes ne sont pas épargnés (ils représentent 1 % des personnes soignées pour un cancer du sein). Ce qui est commun à toutes ces situations, si différentes les unes des autres, c’est leur première question : « Pourquoi moi ? » Alors, c’est en pensant à chacun et chacune d’entre eux, que nous avons choisi ce thème pour la première journée de ces conférences dans la salle de l’Aubette à Strasbourg.

Comment maîtriser cette situation et son évolution ?
La solution est assurément multi-factorielle. Ce sont, entre autres, de renouveler les campagnes de prévention (une campagne du ministère de la Santé incitant les femmes au dépistage est nécessaire), d’accentuer toutes les formes de prévention anti-cancérologique d’une façon générale (lutte contre l’obésité, la sédentarité, le tabagisme, la consommation d’alcool, encourager l’activité physique…), diffuser une information juste auprès de notre population à risque (risque familial, diabète de type 2, avancée en âge…), mettre en œuvre des formations en Sénologie à l’Université et lors de formations continues, mais aussi former les chirurgiens sénologues à la prise en charge d’une maladie qui s’est complexifiée avec le temps. Et bien entendu encourager et financer la recherche clinique et fondamentale, à la fois sur les nouveaux traitements, mais aussi sur l’identification de facteurs de risque.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la formation des chirurgiens puisque c’est un des thèmes de vos rencontres prochaines ?
Il n’y a aujourd’hui aucune formation chirurgicale spécifique obligatoire ni aucune certification pour opérer un cancer du sein en France. Les rencontres internationales de sénologie de Strasbourg permettront de comparer les programmes de formation des chirurgiens sénologues d’autres pays dans le monde et l’Académie nationale de chirurgie formulera des recommandations essentielles dans ce domaine.
Pour tout cela, ces Rencontres seront porteuses de changement, de transformation et, au final, pas seulement d’espoir mais apporteront des pistes d’amélioration pour le bien des patientes, des personnels de santé et de la société civile de manière plus générale.